TRAVAUX ACROBATIQUES
A Bordeaux, des ouvriers de la société de travaux acrobatiques Adret,
d'Ambarès mettent en sécurité la vénérable tour Pey-Berland malmenée
par le vent. Ces alpinistes urbains sont rentables


Un travail de haute volée pour ces ouvriers au service du monument gothique ( Photo Claude Petit)

WILLY DALLAY

"Les églises sont nos montagnes." A ce compte-là, une cathédrale Saint-André est au moins le toit du monde. En serrant la vierge dans ses bras, à 63 mètres au-dessus des terrasses de cafés, Nicolas Gaudé et son collègue Bruno Lusseyran ont l'impression de gagner le ciel. Ces silhouettes bondissantes entre les gargouilles de la Tour Pey-Berland, ne sont donc pas celles de Quasimodo de province.
Quand le vent est favorable, Nicolas a plutôt la mèche à la Tintin et pour faire le grand spectacle, il manque les travellings d'une Disneyworld Company. " Mais il suffit q'il y en ait un qui lève la tête pour que tout le monde regarde", note l'alpiniste du bâtiment. ", Avec les enfants, ça ne loupe pas : "Eh ? t'as vu le monsieur ?"

DE GROS CLIENTS

Les adultes sont. aussi de grands enfants : " Une fois, on travaillait sur l'immeuble de la CUB. Une manif est passée en bas. Un type a levé le nez. Les autres on suivi son regard et tout le cortège s'est arrêté. Ca a duré une dizaine de minutes, avec coucous et coups lie sifflets. C''était sympa, mais au bout d'un moment, on était un peu gêné. "
Car ces alpinistes de façade ne sont pas là pour amuser la galerie. Créée à Ambarès-et-Lagrave, par Denis Lambert, la société Adret, qui emploie une dizaine de personne est une entreprise du bâtiment presque comme les autres. Un grand presque.

Dans la forêt d'échafaudages qui mettent au carré toute ville bien portante, les toiles d'araignées de ces acrobates laborieux procèdent de l'anecdote.Leurs devis compétitif sont néanmoins pris très au sérieux par de gros clients. Adret travaille régulièrement sur le pont d'Aquitaine, au stade Lescure sur le pont de l'île d'Oléron, les cheminées de la centrale EDF d'Ambès pour de grandes entreprises publiques ou privée, des sociétés d'HLM..." Lors du gros coup de vent du mois d'août, de minuscules pierres, sont tombées de la tour Pey-Berland ", explique Stéphane Amouroux, technicien des bâtiments de France. " On a mis en place un perimètre de sécurité. Il fallait ensuite contrôler tout l'édifice et déposer (en vue de les reposer ultérieurement) les pierres qui présentaient un risque. Pour réaliser ces travaux, nous avions trois solutions. Le montage d'échafaudages aurait coûté très cher et allongé les délai. Une nacelle n'aurait pas permis une excellente accessibilité et pour atteindre cette hauteur il aurait fallu du matériel tellement lourd que nous aurions pu avoir des problèmes de stabilité du sous-sol. Avec Adret c'était pas cher (moins de 50 000 francs), précis, rapide et la société dispose d'un personnel compétent en taille de pierre. "

15 JOURS DE TRAVAUX

Les travaux commencés le 2 décembre seront achevés le 16. Le lieu sera rendu aux Visiteurs, le 17.
Si le patron d'Adret est amateur de montagne, Nicolas Gaudé affiche un autre

parcours : "J'étais tailleur de pierre. L'entreprise dans laquelle je travaillais a eu des difficultés. J'ai fait partie de la charette. Je me suis recyclé. Pour un montagnard, j'aurais un niveau très médiocre. D'ailleurs je n'ai jamais fait un sommet."En fait le travailleur acrobatique croise l'alpiniste: " Lui, il monte, nous on descend. La plupart du temps, quand on travaille sur un bâtiment, l'ascenseur nous amène tout en haut et on travaille en rappel avec les cordes."

Manque de chance, les bâtisseurs de cathédrales n'ont pas prévu le liftier. Les 229 marches ne conduisent qu'a 50 mètres. Pour avoir le droit de baiser les pieds de Notre dame d'Aquitaine, il faut escalader encore une dizaine de mètres : "On pitonne dans les joints ", explique Nicolas.
Le vent qui pousse les nuages donne l'impression que la flèche trace sa route dans le ciel comme un paquebot des airs : "Des fois, ça pousse méchamment. Il faut s'accrocher. "
Mais Nicolas Gaudé n'a ni froid aux yeux, ni peur au ventre : "Ce métier s'est développé parce que le matériel a fait d'énormes progrès. II y a des bloquages automatiques et on prend toujours double sécurité. Tout est renouvelé tous les six mois. J'ai confiance. Evidemment, il ne faut pas avoir le vertige. Ou alors un vertige contrôlé qui devient sensation de plaisir. Aller toujours plus loin dans le viiiiiddeeee... " Mais ou est passé Nicolas? En bas. Le lutin a réapparu comme par magie, 10 secondes plus tard, 50 mètres plus bas. Bon, c'est pas tout çà il nous reste encore 229 marches à descendre...